Célia Heinrich
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Dans la cuisine, les odeurs s'intriquaient pour former un patchwork olfactif singulièrement dérangeant. Les fruits mûrs rassemblés dans une coupe en verre fumé participaient activement au tableau, tout comme les oignons, ails et échalotes en gousse, pendus au plafond. Le mélange devait toutefois son incongruité et sa vigueur aux différentes concoctions de plantes préparées par la vieille. Elles décantaient et refroidissaient en transpirant de riches exhalaisons, dont le mariage retournait d'emblée l'estomac de n'importe quel individu sensible. Il n'était pas exagéré de dire que rares étaient les Canopolitains suffisamment téméraires pour se risquer dans l'officine. La vieille, quant à elle, ne semblait guère s'en soucier. Les heures passées à respirer cette profusion d'ingrédients odoriférants l'avaient immunisée contre l'écœurement. Au contraire, ces senteurs fourmillaient d'informations utiles, qu'elle isolait savamment pour mesurer la qualité de son travail. Ainsi, elle savait, par exemple, que la préparation de feuilles de mauve était plus concentrée que d'habitude, et qu'elle devrait prévoir, en conséquence, une plus grande quantité de farine de lin pour ses cataplasmes. Elle s'en chargerait plus tard. L'heure était à l'élaboration de comprimés digestifs.
À chaque coup de pilon, des effluves de bardane et de cardamome s'échappaient du mortier et masquaient, un temps,...
– Comment procède-t-on ? demanda Lukas en réajustant sa casquette.
Wyatt étudia un moment la zone. La maison individuelle était étroite mais comportait un étage. Des matériaux bon marché, une architecture hésitant entre Renouveau et pragmatisme plus moderne. À vue de nez, il estima sa date de construction aux alentours de 20-25. Parfois ce genre d'habitation possédait une seconde entrée sur la façade postérieure. Un accès direct vers un petit jardin, une baie vitrée pour laisser entrer les rares rayons du Soleil. Une porte pour fuir en cas de besoin… À l'intérieur, seule une pièce était éclairée. Probablement le salon. Il n'y avait aucun signe d'agitation. Charles Faure n'avait pas conscience de leur présence.
– Reste là, chuchota Wyatt. Je vais faire le tour pour voir s'il n'y a rien derrière.
– OK. Dépêche. J'ai hâte de passer à l'action.
Une sente longée de buis touffu séparait la cible de la maison voisine. Il l'emprunta et découvrit, à son extrémité, un restant de plate-forme trop effilé pour pouvoir y planter un jardin. À la place, entre le mur et la rambarde, un terre-plein de deux mètres de large était couvert de pots et d'une mini-serre. Le potager personnel de Charles Faure. Au-delà, la forêt...
Hear my words that I might teach you
Take my arms that I might reach you
But my words, like silent raindrops fell
And echoed
In the wells of silence
The Sound of Silence, Simon et Garfunkel (1964).
Rhys frappa à la porte.
– Joan ? Dépêche-toi mon trésor. Nous allons être en retard.
– Une petite minute. Je suis presque prête.
Par réflexe, ses mains glissèrent sur son torse pour la énième fois. Il n'était pas à l'aise dans cette chemise. Elle était trop brillante, trop cintrée, trop voyante. Il fit rouler ses épaules, puis tira sur les poignets pour la distendre au maximum. Même le tissu lui déplaisait. Ce n'était pas la douce popeline de ses chemises de travail, mais une matière synthétique censée épouser parfaitement les mouvements de son corps et neutraliser la transpiration.
Rhys abandonna sa femme à ses préparatifs. La baby-sitter serait bientôt là et il lui fallait réviser une dernière fois les consignes de sécurité avec sa fille. Michelle l'attendait debout dans l'encadrure de la porte de la chambre qu'elle partageait avec son jeune frère de quatre ans, Bruce, qui dormait depuis une demi-heure déjà. Obéissante, elle avait...