– Elle ? proposa Wyatt en pointant une jeune femme du doigt.
– Célib' ! Ma main à couper, répondit Lukas, les mains nouées derrière son crâne.
Wyatt devina un clin d'œil dans la pénombre. La nuit, les éclairages de la Canopée étaient réduits au minimum pour ne pas perturber l'écosystème. Aucune lumière ne pointait vers les arbres. Toutes se concentraient vers les terrasses, plongeant la métropole dans une obscurité moite, où les silhouettes des plus hauts feuillages dansaient au rythme du vent. La plate-forme Panorama ne possédait qu'un unique projecteur à faisceau unidirectionnel. Elle constituait ainsi le meilleur poste d'observation de l'agora.
– Qu'est-ce qui te permet d'être aussi affirmatif ? demanda Wyatt.
– Leggings moulant à peine opaque, haut flashy super décolleté. Cette fille est en chasse ! Allez, vérifie, Parker !
Wyatt envoya sur son e-brain l'identifiant récupéré par le scanner. Il pianota sur le clavier tactile du moniteur, ordonnant silencieusement l'affichage des données publiques de la passante.
– Argh ! Tu gagnes encore.
– Ça fait quoi, huit – trois, c'est ça ?
– Exact. Pour ma défense, elle n'a rompu qu'hier soir. Je ne suis pas sûr que ça compte réellement.
– Tu rigoles ? Elle est totalement en transition.
– Ou alors, elle va essayer de reconquérir son mec après la dispute de la veille…
– Oh, Parker, Parker, ne commence pas à essayer de gratter des points. Bon, ça devient ennuyeux, je veux dire, de te laminer comme ça à chaque jeu. Qu'est-ce qu'on pourrait faire d'autre pour passer le temps ?
– Je ne vois pas…
Wyatt souffla avant de se pencher en avant, les bras appuyés sur la rambarde métallique. Tout cela était terriblement décevant. Quand le Mouvement de Résistance pour les Libertés Individuelles avait perpétré son premier attentat depuis des lustres, il en avait presque bondit de joie. Enfin un peu d'action ! Une chance de prouver sa valeur au sein de la police. Depuis son entrée en fonction, Wyatt ambitionnait de rejoindre les forces d'intervention, car, il fallait bien l'admettre, le travail dans les autres unités était terriblement rébarbatif et facile. Percer à jour les fausses identités, démanteler les réseaux de contrefaçons, traquer les rares criminels, tout cela ne demandait guère d'effort pour peu que l'on était équipé d'un e-brain. Depuis l'explosion de trois sites d'Octopus Network, il attendait une mission sur le terrain. De quoi faire ses preuves. Pourtant ce soir, Lukas et lui étaient chargés de sécuriser l'agora. Une jolie terminologie qui signifie simplement : scanner tous les noctambules de Canopolis.
Se rappelant tout à coup ses obligations, Wyatt pivota le dispositif pour le pointer vers un nouveau groupe qui pénétrait tout juste la plate-forme Délices, manifestement à la recherche d'un restaurant. Contrairement à Panorama, elle possédait de nombreux éclairages et enseignes lumineuses pour attirer les clients. Un salon de thé avait même installé une guirlande de diodes multicolores sur une branche de l'orme géant qui saillait au dessus de la toiture.
Wyatt lança la procédure de recherche.
– Quel zèle, dis-moi ! Tu pourrais te contenter d'attendre qu'ils passent dans la zone du scan.
– Comme ça, je me sens un peu moins inutile.
– Si ce n'est que ça, tu peux éclairer ma lanterne. Pourquoi toutes les nanas portent des pantalons avec des franges sur le côté ?
– Tu es sérieux ? C'est le look de la semaine. Tu ne suis pas les informations mode ?
– Pour quoi faire ? Je suis tout le temps en uniforme. Sauf en congés. Mais comme je fais du sport, je suis en jogging. Je ne vais pas suivre la mode pour choisir la couleur de mes baskets, quand même. Je m'en tamponne la nouille de ces conneries. Tu peux me dire à quoi ça te sert, franchement ?
– Je guette le retour de la mini-jupe en cuir.
Lukas leva le yeux au ciel.
– Écoute, reprit Wyatt. Je ne sais pas pour toi, mais je ne compte pas rester brigadier toute ma vie. Je veux passer de l'autre côté, vers le commandement. Je ferais un super lieutenant, m'est avis.
– Les lieutenants sont aussi en uniforme…
– Laisse-moi finir ! Tu ne considères que la surface des choses. Si je me renseigne sur la mode, ce n'est pas parce que je veux ressembler à un citoyen lambda le week-end, ou parce que je suis curieux. J'ai lu un article de recherche en criminalité, qui explique que les gens qui ne se conforment pas aux rites culturels, tels que la mode, ont nettement plus de chances d'enfreindre la loi et de se rebeller contre l'ordre établi. Quand tu regardes la foule et que tu vois une jolie petite nana qui a décidé de mettre un bas sans frange, tu y vois une audace vestimentaire. Moi, tout ce que je pense, c'est que c'est une recrue potentielle du MoRLI.
Lukas souleva sa casquette et frotta les cheveux rasés du sommet de son crâne. Il faisait toujours cela quand il considérait une nouvelle idée. Ses yeux verts oscillèrent un moment comme pour marquer le cheminement de sa réflexion. Wyatt l'observa, amusé par son manège. Il ne l'aurait jamais admis ouvertement, mais il enviait son partenaire. Celui-ci était plus grand, naturellement musclé, séduisant. Et même si Wyatt se considérait comme le cerveau du duo, cette qualité était éclipsée par le regard perçant de Lukas. Le contraste entre sa peau mate et le clair brillant de ses yeux dégageait de l'intelligence, de la perspicacité. Alors que les yeux noisette de Wyatt demeuraient invariablement inexpressifs.
Lukas remit sa casquette en place et sourit. Cela signifiait qu'il acceptait la théorie comme valide.
– Bon allez mon lieutenant, ça sort en masse du cinéma holographique.
Il pointa du doigt une plate-forme en contrebas. Elle était reliée à Délices par un escalator. Une procession désordonnée quittait le bâtiment avec empressement. Wyatt se dépêcha. Il orienta le scanner dans la bonne direction afin qu'aucun d'entre eux n'échappe au contrôle.
– Ça fait une éternité que je ne suis pas allé voir un film holo. Toi ?
– Moi ? Je n'ai jamais aimé ça. Je suis de la vieille école. Pour moi un film, c'est bon sur un écran. En holo, tu comprends rien, il se passe des trucs devant, derrière. T'as pas le temps de te détendre pour suivre l'action. T'es quasiment dans le film.
– C'est bien ça qui branche les jeunes. Tel que je te connais, ça te plairait davantage si ils diffusaient des films pour adultes.
– Bof. Non. Pas du tout. Je ne vois pas l'intérêt d'être entouré par des nanas à poil si je ne peux pas les toucher.
Lukas replaça le pan de sa veste kaki bien au dessus de son pantalon du même coloris. L'uniforme des policiers était conçu pour permettre un camouflage en milieu forestier, tout en restant bien visible sur les passages bâtis de la Canopée. Ils faisaient ainsi respecter l'ordre par leur simple présence. Faisant mine d'inspecter le moniteur du scanner, Lukas passa sa main dans le dos de Wyatt et bascula sa casquette en avant. Celui-ci la rattrapa juste avant qu'elle ne tombe par dessus la rambarde vers un sol indiscernable à cette altitude.
– Tain, Reed ! J'aurais fait quoi si elle était tombée ?
– Ça va. Je sais que tu as de super réflexes, ça ne risquait rien. C'est juste que je m'ennuie. Je m'ennuie tellement !
– On est dans la même galère, je te rappelle. Tu crois que ça m'amuse de passer ma journée à scanner des cons ? Non. Mais c'est notre mission. Si le travail devait être amusant, on ne serait pas payé pour le faire.
Wyatt ravala sa colère et se concentra sur le scan. Il pivotait l'engin aussi bien pour tester les passants que pour s'occuper les mains.
– J'ai la garde d'Emily ce week-end, lui confia Lukas. Ça se passe pas si mal avec Marcia ces derniers temps. Elle est toujours avec l'autre tête-de-cul mais au moins quand on se voit, on ne se crie pas dessus.
– C'est bien, commenta Wyatt. Et avec ta nouvelle copine, ça avance ?
– Bof. Oui et non. Disons qu'on s'est revu une fois. C'était sympa. Mais après j'ai fait un background check. J'en avais déjà fait un sur elle, mais là je suis allé consulter les infos sur ses ex. J'y ai découvert des trucs plutôt moches. J'ai plus trop envie de la voir.
– Personne n'aime les ex de ses copines. Mais on a tous les deux plus de trente ans, toutes les nanas qu'on rencontre ont un putain de passif. Faut faire abstraction. Qu'est-ce qu'il y avait de si moche ?
– Mis à part qu'elle choisit des demeurés ? J'ai vu des photos. De mauvaises photos. Avec elle.
– Sur leurs pages publiques ?
– Ouais. Je t'avais dit : des demeurés !
– Ce que tu devrais faire la prochaine fois, au lieu de faire un background check, c'est… Oh ! J'en ai un !
Sur l'écran une silhouette rouge jurait dans la marée verte des individus en règle.
– Allez, on le chope ! s'écria Wyatt. Toi tu vas vers la plate-forme Nectars, à gauche, moi je pars de l'autre côté vers le cinéma holo. On va le prendre en tenaille.
– Enfin une occasion de se dégourdir les jambes !
Lukas asséna une tape franche sur l'épaule de son coéquipier et partit à vive allure de l'autre côté de la structure. Avant de quitter son poste, Wyatt retira la fixation du scanner toujours sur la rambarde et glissa l'équipement dans son sac à dos kaki. L'escalator était embouteillé. Il opta donc pour la passerelle mobile, cela lui permettait de courir et de ne pas prendre trop de retard sur Lukas. Le revêtement antiadhésif des planches de bois accrochaient la semelle de ses boots. Il continua sa course, louvoyant pour éviter les noctambules massés sur la place.
Quand il se tourna vers Nectars, il vit que Lukas avait déjà interpellé le suspect. Ils s'écartaient de la passerelle afin de libérer la voie. Wyatt ralentit son pas, et atteignit les deux hommes en marchant.
– Alors ? fit-il à l'adresse de Lukas.
– Voici Eudes Asselin qui allait justement m'expliquer pourquoi il n'avait pas d'implant RFID. Vas-y, Eudes, raconte-nous ça.
L'homme regardait ses pieds, dévoilant un début de calvitie au sommet de son crâne. Il devait avoir une quarantaine d'années tout au plus. Une veste de costume, sur un jean gris, la couleur masculine de la semaine. Il avait l'air d'un pauvre type, pas vraiment le genre qu'ils interpellaient d'habitude.
– J'ai un implant. C'est juste qu'il a arrêté d'émettre. Regardez.
Il retira sa veste, se retourna et glissa la manche droite de son t-shirt pour montrer la déformation que le support de l'émetteur RFID dessinait sur son épaule.
– Bien, ta puce est en panne, souligna Lukas. Ça ne change rien. Il est illégal d'être dans l'enceinte de Canopolis sans identifiant. S'il existait une certaine tolérance jusque-là, elle a été suspendue depuis que la métropole est en état de vigilance jaune. Je sais que tu en as été informé, ton e-brain est connecté.
– Oui, mais… Je veux juste rentrer chez moi.
Pendant que Lukas posait des questions à Eudes, Wyatt consultait l'historique de ses déplacements, et ses informations publiques. C'était leur mode opératoire. Lukas la tchatche, moi l'analyse des preuves matérielles. Les données relevées par les e-brain étaient suffisamment exhaustives pour comprendre les décisions des suspects et déceler l'information clé de chaque enquête. Il n'y avait qu'à chercher !
– Tu habites dans Canopolis ?
– Oui.
– Et bien, il faut au préalable te rendre au CHU du Grand Hêtre situé à l'entrée est. Comme tu le sais, aux services des urgences, un techno-praticien se chargera de réactiver ton identifiant. Tu pourras rentrer chez toi juste après.
L'homme agita ses mains devant Lukas et le supplia.
– Mais, j'ai essayé ! En quittant le travail, je suis allé aux urgences, mais il y avait quatre heures de queue. Je ne pouvais pas attendre si longtemps.
– Depuis quand ton émetteur est-il en panne ? demanda Wyatt, avec une expression fermée.
– Je ne sais plus vraiment, fit l'homme, manifestement gêné par la question.
– Je peux te le dire, continua Wyatt. D'après les relevés de ton e-brain, cela fait deux semaines. Deux semaines que tu aurais dû corriger ce problème. Le fait que tu t'y sois pris trop tard et qu'il te faille fournir un effort supplémentaire pour régler la situation est entièrement de ta faute.
– Il fait déjà nuit. Je ne pourrais pas réessayer demain ?
C'était toujours la même chose. Ces justifications n'apitoyaient plus Wyatt. Cela faisait bien trop longtemps qu'il était confronté à des individus qui se croyaient soustraits aux règles communes, au dessus des lois. Deux semaines auparavant, ils avaient arrêté un faussaire qui contrefaisait des identités RFID. Malgré les preuves indéniables que Wyatt lui avaient mises devant les yeux : images de surveillance caméra, relevés géolocalisés des puces, faux implants RFID saisis à son domicile, il continuait à nier en bloc. Tout bon sens semblait quitter les délinquants et les criminels dès lors qu'ils étaient confrontés à la police. Ou bien alors, pensa Wyatt, c'est un complot du MoRLI pour nous occuper avec des bras cassés pendant que les gros coups se préparent. Cette insistance à tenter de violer la loi alors que les chances de succès avoisinaient zéro le déconcertait profondément. Dans son monde, les choses étaient carrées, vraies ou fausses, bonnes ou mauvaises. Ce qui était illégal l'était pour une bonne raison. Aucune explication confuse sur les circonstances ne changerait jamais cet état de fait.
– Tu ne comprends pas, dit Lukas. Nous sommes en état d'alerte. Plusieurs terroristes ayant participé à l'attaque sont toujours en liberté. Nous ne faisons aucune exception concernant les règles. Notre travail est de garantir la sécurité des citoyens de Canopolis.
– De plus, ajouta Wyatt avec un sourire en coin, tu ne rentres pas chez toi, là, Eudes ? Dis-moi si je me trompe.
– Mais, c'est-à-dire que…
Wyatt ne lui laissa pas le loisir de continuer. Ce qu'il avait trouvé ne changeait pas la mission. Eudes serait reconduit à l'extérieur quoiqu'il arrive. Mais percer à jour ses secrets, montrer à quel point il était en tort, ça c'était du travail d'enquête, et Wyatt en éprouvait un fort sentiment de victoire. C'est comme battre un adversaire dans un combat singulier, ou même à un jeu d'échecs. L'important n'est pas le résultat en soi, mais d'avoir le dessus parce qu'on s'est montré plus fort ou plus malin. Il présenta le compte-rendu de ses recherches à Lukas, qui émit un rire mordant en dévisageant le suspect.
– J'ai croisé les différents trajets que tu effectues au quotidien et ai effectué une prévision basée sur l'itinéraire que nous t'avons vu prendre sur l'agora. Il est probable à 98% que tu étais en route pour acheter des bières pour te rendre ensuite chez ton voisin. Est-ce correct ?
– C'est-à-dire que…
L'homme se tripotait nerveusement les mains ; le reflet des néons sur sa peau luisante indiquait une sudation excessive. L'analyse était correcte.
– Donc si je résume, conclut Lukas. Tu n'as pas le temps pour te mettre en règle alors que cela fait déjà deux semaines que tu enfreins la loi. Pourtant tu trouves de la place dans ton planning très chargé pour acheter de la bière et boire avec des amis. Quel admirable sens des priorités !
– C'était juste pour boire un apéritif ensemble. Ça n'aurait pas duré quatre heures, ce n'est absolument pas comparable.
Lukas souleva sa casquette avant de la remettre en place, et la tourna d'un côté puis de l'autre. Il s'impatientait.
– Écoute, Eudes. Il faut que tu arrêtes de nous faire perdre notre temps, sinon tout ce que tu vas gagner c'est un blâme. On est d'accord ?
Il hocha la tête en signe de soumission.
– Très bien. Je t'explique la situation. Tu avais ton e-brain allumé, ce qui nous a permis de t'identifier. Et ton casier judiciaire est vierge. Il n'y a pas de raison que l'on t'arrête. Par contre, tu ne peux pas rester dans l'enceinte de la métropole sans RFID. Donc on va te ramener au CHU du Grand Hêtre et mettre ton e-brain sous surveillance jusqu'à ce que l'on capte un signal valide. Ok ?
– Si tu retournes dans Canopolis ou que tu éteins ton e-brain sans avoir d'émetteur actif, compléta Wyatt, nous te retrouverons et nous t'arrêterons.
Wyatt et Lukas se mirent en marche vers leur véhicule en faisant signe à Eudes de les suivre. La boule était à l'arrêt, garée à quelques mètres de l'entrée du tube des transports privés sur la plate-forme Panorama. Wyatt invita Eudes à s'installer le premier sur la banquette du fond puis s'assit en face de lui. L'homme frottait nerveusement la paume de ses mains sur le tissu de son pantalon. Il promenait son regard sur la vitre, le revêtement en lin noir, le range-document de la portière, en évitant soigneusement Wyatt. Lui posa sa casquette sur ses genoux pour se mettre à l'aise. Ses cheveux châtains gardèrent la marque circulaire du couvre-chef. Il essaya en vain de les arranger. À l'avant, Lukas programmait la destination sur l'interface de commande.
– N'oublie pas de nous mettre dans la ligne prioritaire, lança Wyatt. Je n'ai pas envie d'y passer la nuit !
Il continua de pianoter un moment avant d'ouvrir une session de communication avec le central.
– Ici les brigadiers Lukas Reed et Wyatt Parker au rapport. Nous avons arrêté un individu dont la radio-identification était impossible. Nous nous apprêtons à quitter l'agora pour le transporter jusqu'au CHU du Grand Hêtre.
– Bien reçu, Reed. On envoie un autre groupe pour vous remplacer.
– Merci. Nous reprendrons contact à notre retour.
Lukas enjamba la banquette pour rejoindre Wyatt face au suspect. La boule suivit le rail, se plaça sur la piste prioritaire, et prit de la vitesse. Le tube gérait lui-même les déplacements des différentes navettes qui y pénétraient, déterminant pour chacune d'entre elles vitesse, itinéraire, files empruntées, en fonction des paramètres saisis. Il n'était pas rare que le tube programme un détour pour libérer les voies congestionnées, mais cela ne se produisait jamais pour les véhicules de police et les autres services d'urgence. Wyatt regardait la végétation à travers la cloison latérale transparente. Les transports dans la boule avait à ses yeux un effet relaxant.
– Vous n'allez pas me passer les menottes ? demanda soudain Eudes.
– Pourquoi ? Tu comptes commettre un acte répréhensible avec tes mains ? répliqua Lukas.
– Je croyais que c'était la procédure.
– Les bracelets, ça se mérite ! Il n'y a pas de raison qu'on t'attache. Sauf si tu insistes, bien sûr.
Il n'insista pas et garda le silence pendant le reste du trajet.
La boule atteignit le CHU en une petite vingtaine de minutes, mais il fallut en attendre dix de plus pour sortir du tube. Eudes n'était pas le seul Canopolitain avec une puce défaillante, loin de là. La salle d'attente de l'hôpital était pleine et une file spéciale avait été mise en place à l'extérieur du complexe. Wyatt observa ses collègues y escorter des civils et repartir vers le tube.
– M'est avis que tu aurais dû choisir de faire la queue lorsqu'il n'y avait que quatre heures d'attente.
Le visage d'Eudes se décomposait à mesure qu'il comptait les patients déjà sur place.
– Ce n'est pas possible. Je ne passerai jamais !
– Ne t'inquiète pas, le rassura Wyatt. L'établissement est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Lukas sourit avant de l'escorter à l'endroit où il passerait la nuit. Wyatt suivait un peu en retrait. L'hôpital avait une architecture moderne qui jurait avec l'aspect global de Canopolis tout en bois et en courbe. Il s'agissait d'un énorme prisme recouvert de vitrage thermo-conducteur dont la façade principale était bien plus haute que toutes ses voisines. Le bâtiment était une prouesse technique. Il produisait plus d'énergie qu'il n'en consommait, et ce malgré la faiblesse de l'ensoleillement à cette altitude. L'abondance d'éclairage au rez-de-chaussée témoignait de l'activité exceptionnelle du service des urgences en cette nuit. Des visages tristes et fatigués attendaient docilement dans la file. Eudes les rejoignit sans enthousiasme.
– Tu peux toujours demander à ton voisin de t'apporter une bière ! proposa Lukas.
Il ne répondit pas. Lukas pointa son e-brain pour lui rappeler de le laisser allumer, puis les deux policiers le quittèrent sans plus de formalité. De retour dans leur véhicule, alors que Lukas programmait le trajet retour, Wyatt reçut une transmission du central sur son e-brain.
– Parker, Reed ? On vous envoie devant le studio d'enregistrement de MCTV.
– On ne retourne pas sur l'agora ?
– Non, c'est bon. Vos remplaçants sont toujours sur place.
– Quel est notre objectif ? Scanner les passants ?
– Non, il y a un rassemblement illicite. Avec la vigilance jaune, ce n'est pas acceptable.
Ce n'est pas vraiment le genre de mission que j'attendais mais c'est toujours mieux que de poireauter sur l'agora en scannant tout ce qui bouge.
– Qu'est-ce qu'il s'y passe ? demanda Lukas, curieux.
– Il y a eu du tohu bohu pendant le concours de Miss Canopolis. Ils doivent espérer voir un crêpage de chignon à l'extérieur du studio. Faites-moi rentrer tous ces curieux chez eux.
– À vos ordres ! conclut Wyatt.
Les paramètres enregistrés, la boule s'engouffra dans le tube et accéléra.
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